Il y a probablement différentes manières de définir la mentalité des congolais en ce qui concerne leur capacité à demander de l’aide, qu’elle soit justifiée ou non, mais j’en arrive à conclure qu’ici il est probablement approprié de qualifier cela de mendicité institutionnalisée. Les demandes d’aide financière ou autre concerne toutes les catégories d’age, de sexe et/ou de position sociale et si par hasard la personne rencontrée ne demande rien, c’est généralement parce qu’elle attend un moment plus propice pour formuler sa demande.
De petits enfants qui tiennent à peine debout et savent à peine parler, quand ils voient un blanc passer la seule expression qu’ils clament tous n’est pas bonjour (ou mbote), ni comment allez-vous, mais “donne moi l’argent” (en français, parce qu’ils savent déjà à ce jeune age que tous les blancs ne comprennent pas le lingala). Ces enfants, de 2-3 ans ne vont certainement pas encore à l’école donc cette expression est acquise à la maison et est quasi généralisée chez tous les enfants croisés sur le bord de la route. Je sais que personne ne leur donne quoi que ce soit comme argent, et pourtant cette demande fuse sans relâche à chaque passage. Même si c’est dans la bouche des tout petits enfants que cette demande est la plus surprenant voire même choquante, c’est loin d’être quelque chose qui est limité aux petits, personne ne semble avoir de honte ou de fierté à cet égard, jeunes ou vieux. Les adultes sont certes parfois un peu plus “diplomatiques” et échangent d’abord des salutations, mais très courtes pour être certain d’avoir le temps de placer leur demande de contribution financière.
Parfois j’hésite à saluer les personnes croisées le long de la route parce que j’ai l’impression que le fait de leur adresser la parole est interprété comme une invitation à formuler leurs besoins. Combien de fois je n’ai pas dis bonjour à un homme ou une femme sur la route pour recevoir comme réponse une demande d’argent (pour les adultes souvent en lingala) prétextant qu’ils n’ont pas eu de café le matin ou que leurs enfants (pas eux…) ont faim. Les personnes (travailleurs ou personnes extérieures) qui viennent me voir au bureau sont principalement motivés par une demande d’argent ou de prêt (dans le cas des travailleurs) car ici tout le monde vit à crédit, avec parfois des conséquences désastreuses (lire plus bas).
Ces demandes ne sont toutefois pas le propre des seuls travailleurs ou visiteurs locaux, il en va de même de toutes les autorités jusqu’à l’administrateur du territoire voire même le ministre, mais dans ces cas-là l’on parle généralement de corruption alors que cette mentalité est acquise depuis le plus jeune age. Il est vrai que le ministre n’a pas vraiment besoin de notre aide financière pour vivre et que dans ces situations de demandes il est plus question d’éviter que notre dossier ne finisse au fond d’un tiroir ou dans une poubelle.
Les niveaux de demandes varient aussi énormément en fonction du demandeur, un personne sur le bord de la route ou un policier pourra se satisfaire d’un billet de 500 francs (environ 25 cents), tandis que le ministre ne réagit pas si le montant est en-dessous de quelques dizaines de milliers de dollars. Comme il en va de même pour les autorités judiciaires (chefs de parquet, juges, etc.) qui doivent être “motivés” pour prendre une décision plutôt que de laisser trainer un dossier. La décision favorable ou non dépend plus de la considération accordée à l’autorité que les éléments du dossier. Ainsi même dans des cas ou il n’y a aucun doute possible et que toutes les preuves sont réunies, le jugement est tributaire du montant payé par le plaignant ou l’accusé et, quand c’est possible ce jugement ne sera pas définitif afin de laisser la porte ouverte à une autre “motivation” pour finaliser la chose. Vous comprendrez donc qu’il est impossible (ou suicidaire) de demander à la justice de traiter d’un différent opposant un privé ou une société à un représentant de l’état et comme ce dernier a le pouvoir de bloquer les comptes d’une société (par exemple) à titre de mesure de conservation, ne pas payer quelque chose n’est pas vraiment une option viable…
Comme indiqué ci-dessus, beaucoup de nos travailleurs vivent à crédit, au point que pour certains l’entièreté de leur salaire disparait le jour même de la paie dans la poche de la personne qui l’aurait “aidé”. Nous interdisons la présence de personnes extérieures à la société près de nos bureaux de paie, mais il y a généralement une escouade de motos qui attendent à la sortie pour amener l’agent en dette jusque chez son bailleur de fonds.
Certains travailleurs désespérés font appel à ce qui est appelé la “Banque Lambert” pour une assistance financière. Je ne sais pas si le nom à un quelconque rapport avec la BBL, mais le principe de cette “banque” est que tout prêt est remboursable dans le mois avec un intérêt de 50% (par mois) et faute de remboursement l’usurier n’hésitera pas à faire incarcérer son créditeur avec généralement une saisie de ses biens. Il est difficile de comprendre comment quelqu’un peut espérer rembourser de tels montants, mais les causes de dettes sont parfois tellement farfelues que rien n’est impossible ici. Par exemple, en cas de décès d’un parent, il est normal d’accueillir toute personne qui viendrait assister à la veillée, qu’elle soit une membre de la famille proche ou moins proche ou simplement un voisin. Tout visiteur doit être accueilli dignement ce qui nécessite généralement la location de chaises, d’une installation de musique (généralement plus disco que funèbre) et la mise à disposition de boissons, le tout représentant souvent des multiples du salaire mensuel de la personne concernée, quand celle-ci a un emploi.
Enfin il arrive malheureusement trop fréquemment qu’un personne dépasse toutes ses possibilités de sources financières (salaire, prêts, dons et autres) et se retrouver dans une situation ou un remboursement est tout simplement impossible. Ces personnes se retrouvent soit au cachot (ce qui ne fait qu’aggraver leur situation financière et ne résout rien), soit ils fuient en abandonnant femmes et enfants pour se refaire une vie ailleurs. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce ne sont pas nécessairement nos employés aux plus petits salaires qui disparaissent ainsi dans la nature, probablement parce que ceux qui ont des revenus plus importants pensent peut-être pouvoir prendre plus de risques en matière de prêts et d’engagements financiers.
Rassurez-vous, nous n’avons pas encore été trop influencés par la gestion financière congolaise et ne devrions pas avoir à vous demander “donne moi l’argent”.
A très bientôt vous lire,
Marc & Marie-Claude
There are probably different ways of defining the mentality of the Congolese with regard to their ability to ask for help, whether justified or not, but I come to the conclusion that here it is probably appropriate to qualify this as institutionalized begging. Requests for financial or other assistance concern all age, gender and/or social position categories and if by chance the person interviewed does not ask for anything, it is generally because he or she waits for a more favourable time to make the request.
Little children who can barely stand up and barely speak, when they see a white person, the only expression they all shout is not “hello” (or “mbote”), nor “how are you”, but “give me the money” (in French, because they already know at this young age that not all white people understand Lingala). These 2-3 year old children certainly do not yet go to school so this expression is acquired at home and is almost universal among all children seen on the roadside. I know that no one gives them any money, and yet this request is relentlessly made every time. Even if it is in the mouths of very young children that this request is the most surprising or even shocking, it is far from being something that is limited to children, no one seems to have shame or pride in this regard, young or old. Adults are certainly sometimes a little more “diplomatic” and first exchange greetings, but very short to be sure to have time to place their request for a financial contribution.
Sometimes I hesitate to greet people along the road because I feel that speaking to them is seen as an invitation to formulate their needs. I cannot recal the number of times I said hello to a man or woman on the road and receive as an answer a request for money (for adults often in Lingala) claiming that they did not have coffee in the morning or that their children (not them…) are hungry. The people (workers or outsiders) who come to see me at the office are mainly motivated by a request for money or a loan (in the case of workers) because everyone here lives on credit, with sometimes disastrous consequences (read below).
However, these requests are not the sole preserve of local workers or visitors, they seem to be normal for any kind of authority, including the territory administrator (direct authority under the governor) or even a minister, but in these cases, these kind of requests are generally referred to as a form of corruption, even though this mentality has been acquired since the earliest age. It is true that the minister does not really need our financial assistance to live and that in these situations the request is more a matter of preventing our file from ending up in a drawer or in a bin. The levels of requests also vary enormously depending on the requester, a person on the roadside or a police officer will be satisfied with a 500-franc note (about 25 cents), while the Minister does not react if the amount is below a few tens of thousands of dollars. The same goes for judicial authorities (heads of prosecution, judges, etc.) who must be “motivated” to take a decision rather than leave a case lying around. Whether or not a decision is favourable depends more on the consideration given to the authority than on the elements of the file. Thus, even in cases where there is no doubt possible and all the evidence is gathered, the judgment depends on the amount paid by the plaintiff or the accused and, when possible, this judgment will not be final in order to leave the door open to another “motivation” to finalize the matter. You will therefore understand that it is impossible (or suicidal) to ask the courts to deal with a matter opposing a private individual or company with a representative of the state and since the latter has the power to block a company’s accounts (for example) as a preventive measure, not paying for something is not really a viable option…
As mentioned above, many of our workers live on credit, to the point that for some of them, see their entire salary disappear on the same day it is paid, into the pocket of the person who “helped” them. We prohibit the presence of outsiders near our payroll offices, but there is usually a squad of motorcycles waiting at the exit to take the agent in debt to the lender.
Some desperate workers are turning to what is called “Banque Lambert” for financial assistance. I don’t know if the name has any connection with the BBL, but the principle of this “bank” is that any loan is repayable within a month with interest of 50% (per month) and failing repayment the loan shark will not hesitate to incarcerate his creditor with usually a seizure of his meagre belongings. It is difficult to understand how anyone can hope to repay such amounts, but the causes of debt are sometimes so far-fetched that nothing is impossible. For example, in the event of the death of a parent, it is normal to welcome anyone who would wish to assist during the vigil, whether they are a close or less close family member or simply a neighbour. All visitors must be welcomed with dignity, which generally requires the rental of chairs, a music installation (generally more disco than funeral) and the provision of drinks, all of which often represent multiples of the person’s monthly salary, provided the person concerned has a job.
Finally, it is unfortunately all too often the case that a person exceeds all his or her possibilities from financial sources (salary, loans, donations and others) and finds himself or herself in a situation where a repayment is simply impossible. These people either end up in jail (which only worsens their financial situation and solves nothing), or they flee, abandoning wife and children to start a new life elsewhere. Contrary to what one might think, it is not necessarily our employees with the lowest salaries who disappear into the wild in this way, probably because those with higher incomes may think they can take more risks with loans and financial commitments.
Don’t worry, we have not yet been too influenced by Congolese financial management and should not have to ask you to “give the money”.
We look forward to hearing from you,
Marc & Marie-Claude