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Mapangu est de loin l’endroit où, de tous les coins du monde où nous avons vécu, la rumeur règne, incontestée. Peu importe l’extravagance des idées, elles trouvent ici un terrain des plus fertiles pour se propager et s’embellir à une vitesse inimaginable. En fait, compte tenu des moyens de communication limités, la rapidité de la propagation d’informations vraies ou fausses est extraordinaire. Je suis parfois surpris de recevoir des demandes pour une place dans l’avion de Kinshasa ou le droit d’envoyer un colis avec la pirogue qui va à Ilebo avant même que le voyage ait été programmé. Il en va de même pour des choses moins prévisibles (tout le monde sait que nous organisons des transports de temps en temps), comme par exemple la discussion que nous avons eue en comité de direction concernant la vente éventuelle de véhicules déclassés, pour lesquels j’ai reçu des demandes le jour même, y compris de personnes à l’extérieur de Mapangu.
Curieusement pour d’autres choses le retour d’information est particulièrement vague, ainsi il est difficile de savoir où, exactement, se trouve la barge qui doit nous apporter notre carburant, en route depuis plusieurs mois, ou ce qu’il en est de la progression des camions que nous avons loué en vue du pic de production, qui auraient dû être rendus il y a plusieurs semaines déjà et sont probablement embourbés quelque part pas loin d’ici.
Ces rumeurs, vérifiées ou non, sont également une cause suffisante pour faire appel à la “justice”, dont les responsables sont particulièrement friands car, quel que soit le motif et la raison (valable ou non), c’est généralement une opportunité de se faire un peu d’argent. Le principe est généralement très simple, on dépose une plainte au parquet ici à Mapangu, ou pour ceux qui ont un peu plus de moyens au tribunal de paix à Ilebo et le magistrat va convoquer “l’accusé” généralement sans vérifier si la plainte est fondée ou si l’instance judiciaire est même compétente en la matière. Les plaintes vont de petites choses anodines comme le non-paiement d’une dette, en passant par l’insulte ou encore la mort par sorcellerie. Il y a aussi bon nombre de ceux qui vont porter plainte parce qu’ils estiment qu’il y a eu une erreur dans le calcul de leur salaire ou parce que la fin d’un contrat à durée indéterminée est illégitime.
Normalement tout ce qui relève du travail est de la seule compétence de l’inspecteur ou du tribunal du travail, mais notre inspecteur du travail n’est pas une fusée stratosphérique et va parfois lui-même embrouiller les choses en portant plainte pour des questions qui relèvent en fait de sa propre compétence.
Dans toutes ces démarches ce sont nos avocats qui sont les plus enthousiastes car, outre le fait qu’ils sont évidemment payés pour défendre les intérêts de la société, et plus il y a de dossiers mieux ils se portent, d’autre part parce que tout acte, allant du dépôt d’une invitation par le greffier au retrait d’un jugement, est payant et les tarifs applicables sont (comme tout ici) négociables, ce qui permet donc chaque fois à l’avocat de prendre sa dîme…
Généralement ce sont des dossiers concernant nos travailleurs qui nous occupent le plus. Ainsi dernièrement nous avons du négocier l’abandon d’une poursuite judiciaire contre l’un de nos cadres qui aurait proclamé que les agents de renseignements n’avaient pas leur place dans la société. L’agence de renseignement étant un service secret, par extension il n’est pas légal d’en parler ouvertement, à fortiori de porter plainte “à l’encontre de”, même si c’est de manière générale sans parler d’un individu en particulier, donc le simple fait de dire que ces agents n’ont pas leur place dans Brabanta est un acte répréhensible. Un autre cas concerne un agent qui aurait accumulé des dettes et dont le créancier a décidé de porter plainte (avec évidemment une arrestation immédiate) en oubliant que le peu d’argent qui pourra sortir de l’opération ira aux magistrats plutôt que de servir au remboursement de son prêt. Un autre cas, encore, concerne un de nos agents qui a été arrêté parce que son fils et la fille d’un autre agent ont eu une relation “fructueuse” et que ni le fils (ni le père) n’étaient en mesure de payer une dot. Le père de la jeune fille a donc jugé bon de porter la question devant la justice et au moins tout le monde sait maintenant qu’elle a un polichinel dans le tiroir. Je ne vais pas dire qu’il y a quelque chose chaque jour, mais nous n’en sommes pas loin car toutes les excuses sont bonnes pour alimenter les affaires des magistrats locaux.
Parfois, des personnes extérieures à la société viennent aussi me trouver pour demander de l’aide (financière) pour résoudre un problème de justice. Le dernier en date, qui m’a laissé sans voix, concerne un notable du coin dont le fils avait été arrêté pour avoir violé une fille à Kinshasa et comme le “malheur” fait que c’était justement la fille d’un général, les frais de sortie de prison étaient au-dessus de ses moyens. De manière très candide le notable est venu me demander une aide financière pour faire libérer son pauvre petit…
Les expatriés n’échappent pas à ces tracasseries, il y a quelques mois c’est un de nos agronomes qui a été accusé d’avoir arraché les vêtements et violé une femme dans la plantation au vu et au su de tous (selon l’accusateur). Peu importe le fait que notre agronome était accompagné de trois travailleurs qui étaient prêts à témoigner en sa faveur (mais que le magistrat considérait comme biaisés car travaillant aussi pour Brabanta) et que la “dame” en question n’avait comme témoin que les personnes qui l’auraient vue revenir au village dévêtue, c’était une raison suffisante pour une incarcération immédiate. En fait, le seul échange qui avait eu lieu entre notre agronome et la plaignante concerne une demande (par personne interposée car elle ne parlait pas le français) d’expliquer pourquoi elle se promenait avec un sac marqué Brabanta dans la plantation, alors qu’elle n’était même pas employée de la société. Après de longues discussions et finalement une audition d’un des chauffeurs de tracteurs qui était présent lors de cet échange, le chef du parquet a indiqué être prêt à clore le dossier moyennant un paiement de 3.000 dollars pour couvrir ses frais… A ce point là j’ai fait intervenir la hiérarchie de Kinshasa et le monsieur est reparti sans un kopek en promettant une prochaine revanche.
La revanche (peut-être) est arrivée cette semaine avec un invitation personnelle à me présenter au tribunal de paix à Ilebo. Vu le confinement et les restrictions de déplacement je n’allais pas aller faire le pied de grue à Ilebo sans savoir le pourquoi de cette convocation. Après investigation il s’avère que la plainte émane d’un ancien travailleur arrivé en fin de contrat en 2012 et qui n’aurait pas été payé pour les 18 mois de travail précédent son départ. Outre le fait qu’il est peu probable que le monsieur ait travaillé au-delà de quelques mois sans être payé et qu’il ait attendu plus de 7 ans avant de réclamer son dû, selon la loi il y a prescription et le tribunal de paix n’est pas compétent en la matière. Mais le président du tribunal espérait qu’une convocation du DG ferait peur et encouragerait la société à proposer une négociation (financière toujours) pour mettre fin à ce dossier, “qui n’essaye pas n’a pas”…
Ce n’est pas la première fois et ce ne sera certainement pas la dernière fois, mais en attendant nous essayons de respecter scrupuleusement les règles, de refuser toute “négociation” de solution qui ne serait pas sanctionnée par un document officiel et de sevrer tant que ce peu les différentes autorités habituées à recevoir des “motivations” pour faire leur travail (correctement ou pas). Tout cela nous garde occupés et alertes et, heureusement, il y quand même une certaine réserve sachant que sans Brabanta tous ces services étatiques n’existeraient pas ici ou seraient en tout cas sans ressources. Il faut donc ménager la poule pour que la ponte continue…
Nous espérons, comme toujours, avoir de vos nouvelles,
Marc & Marie-Claude
Mapangu is by far the place where, of all the corners of the world where we have lived, rumour reigns unchallenged. No matter how extravagant the ideas are, they find here a most fertile ground to spread and beautify themselves at an unimaginable speed. In fact, given the limited means of communication, the speed of propagation of true or false information is extraordinary. I am sometimes surprised to receive requests for a seat on the plane from Kinshasa or the right to send a parcel with the dugout canoe going to Ilebo even before the trip has been scheduled. The same goes for less predictable things (everyone knows that we organise transport from time to time), such as the discussion we had in the steering committee about the possible sale of decommissioned vehicles, for which I received requests the same day, including from people outside Mapangu.
Curiously for other things the feedback is particularly vague, so it is difficult to know exactly where the barge that is to bring us our fuel is located, knowing it has been on the way for several months now, or what is happening with the progress of the trucks that we have rented for the production peak, which should have arrived several weeks ago and are probably stuck somewhere not far from here.
These rumours, whether verified or not, are also sufficient cause for the legal system to be involved, which is always welcomed by those in charge, because, whatever the motive and reason (valid or not), it is usually an opportunity to make some money. The principle is generally very simple, one files a complaint with the public prosecutor’s office here in Mapangu, or for those who have a little more means, with the court in Ilebo, and the magistrate will summon “the accused” generally without checking whether the complaint is well-founded or whether the judicial body even has jurisdiction in the matter. The complaints range from small, trivial things like non-payment of a debt, to insults or death by witchcraft. There are also many who will file a complaint because they believe that there has been an error in the calculation of their salary or because the end of their defined term contract is illegitimate.
Normally everything that is labour-related is within the sole jurisdiction of the labour inspector or the labour court, but our labour inspector is not a stratospheric rocket and will sometimes confuse things himself by filing complaints on matters that are in fact within his own jurisdiction.
In all these proceedings it is our lawyers who are the most enthusiastic because, apart from the fact that they are obviously paid to defend the interests of the company, and the more cases there are, the better off they are, and because every act, from the filing of an invitation by the clerk to the withdrawal of a judgment, is paid for and the applicable rates are (like everything else here) negotiable, which therefore allows the lawyer to take his own fee each time…
Usually the files concerning our workers are the ones that that keep us mostly busy. For example, recently we had to negotiate the abandonment of a lawsuit against one of our executives who allegedly proclaimed that intelligence officers had no place in the company. Since the intelligence agency is a secret service, by extension it is not legal to talk about it openly, let alone file a complaint “against” it, even if it is in a general way without mentioning any particular individual, so simply saying that these agents have no place in Brabanta is a reprehensible act. Another case concerns an agent who has allegedly accumulated debts and whose creditor has decided to file a complaint (obviously with an immediate arrest) forgetting that the little money that may come out of the operation will go to the magistrates rather than be used to repay his loan. Yet another case concerns one of our agents who was arrested because his son and the daughter of another agent had a “fruitful” relationship and neither the son (nor the father) was able to pay a dowry. The girl’s father therefore saw fit to bring the matter to court and at least everyone now knows that his daughter has a bun in the oven. I’m not going to say that there is something every day, but we are not far from it because any excuse is good to fuel the affairs of the local magistrates.
Sometimes people from outside company also come to me to ask for (financial) help to solve a justice problem. The most recent one, which left me speechless, concerns a local notable whose son had been arrested for raping a girl in Kinshasa and since the “misfortune” was that it was the daughter of a general, the costs of getting the son out of prison were beyond this person’s means. In a very candid way, the notable came to ask me for financial help to free his poor little boy…
Expatriates do not escape these worries, a few months ago it was one of our agronomists who was accused of having torn off the clothes and raped a woman on the plantation in full view of everyone (according to the accuser). Regardless of the fact that our agronomist was accompanied by three workers who were willing to testify in his favour (but whom the magistrate considered biased because they also worked for Brabanta) and that the “lady” in question had fled to her village, supposedly scantily dressed, this was reason enough for immediate incarceration of our colleague. In fact, the only exchange that had taken place between our agronomist and the complainant concerned a request (by an intermediary as she did not speak French) to explain why she was walking around with a bag marked Brabanta on the plantation when she was not even an employee of the company. After lengthy discussions and finally a hearing of one of the tractor drivers who was present at the exchange, the head of the public prosecutor’s office indicated that he was ready to close the file in return for a payment of $3,000 to cover his expenses. At this point I called in the Kinshasa hierarchy and the man left without a kopek, promising a future revenge.
The revenge (perhaps) arrived this week with a personal invitation for me to appear at the court in Ilebo. Given the confinement and travel restrictions I was not going to go to Ilebo without knowing the reason for this invitation. After investigation it turns out that the complaint comes from a former worker who had reached the end of his contract in 2012 and who claimes he has not been paid for the 18 months of work prior to his departure. Apart from the fact that it is unlikely that the gentleman worked even a few months without being paid and that he waited more than 7 years before claiming his due, according to the law there is a statute of limitations and the court is not competent in this matter. But the president of the court hoped that a summons from the GM would frighten and encourage the company to propose a negotiation (always financial) to put an end to this case, “who doesn’t try has no hope of getting anything” …
This is not the first time and it will certainly not be the last time, but in the meantime we are trying to scrupulously respect the rules, to refuse any “negotiation” of a solution that would not be sanctioned by an official document and to wean the various authorities of the fact that they are used to receiving “motivations” to do their job (correctly or not). All this keeps us busy and alert and, fortunately, there is still a certain reserve from the authorities knowing that without Brabanta all these state services would not exist here or would in any case be without resources. So they have to spare the hen so that the egg-laying continues…
We hope, as always, to hear from you,
Marc & Marie-Claude