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Une des leçons que nous avons apprises depuis les quelques années que nous sommes ici à Mapangu est que les choses ne sont jamais acquises et que même quand nos interlocuteurs nous disent avoir compris ce qui vient d’être discuté, il y a de fortes chances que ce ne soit pas le cas, voire, juste le contraire.
Prenons l’exemple de nos coupeurs qui, tous les jours, récoltent les régimes de palme mûrs pour les envoyer à l’huilerie où ils seront traités. Le travail est toujours le même à savoir de faire le tour de chaque palmier pour vérifier s’il y a des régimes mûrs, la maturité se vérifie si un fruit se détache et que la loge de celui-ci est jaune, couper les palmes soutenant le régime dans le sens de la spirale des palmes (les palmiers développent leurs palmes en spirale, gauche ou droite, à raison de 8 palmes par tour de palmier), couper le régime mûr, vérifier s’il n’y a pas de fruits détachés dans les poches des palmes, couper en andainer les palmes coupées, couper le pédoncule du régime et nettoyer le rond autour du palmier pour facilement pouvoir ramasser les fruits. Certes toute une série d’étapes mais qui sont finalement plutôt simples et logiques. Pour aider les coupeurs à mémoriser la procédure, tous les matins avant de commencer le travail, l’équipe est rassemblée par leur chef d’équipe (appelé capita) pour faire une démonstration de chaque opération. Le but premier est de rafraîchir la mémoire des travailleurs sur la manière de travailler, mais cela permet aussi de vérifier si le capita, lui-même, a bien compris comment faire le travail. En plus, pendant la durée du travail le capita et son superviseur font des rondes dans les chantiers de récolte pour s’assurer que le travail est fait correctement. Et pourtant… A chaque visite en plantation le constat est fait qu’un bon nombre de coupeurs ne font pas le travail correctement, le plus souvent parce qu’ils n’ont pas compris ou disent avoir oublié. Il arrive même que les capitas eux-mêmes ne se souviennent plus exactement des recommandations, même si c’est le même travail qu’ils font tous les jours depuis des années. Il est certain que la langue peut parfois être à l’origine de mauvaises compréhensions et c’est pour cela que nous avons opté de faire des démonstrations pratiques tous les matins, mais même cela ne semble pas être aussi efficace que l’on aurait pu espérer.
L’exemple ici a été donné pour les coupeurs, mais il en va de même pour quasi toutes les opérations, y compris les maçons, les domestiques ou les chauffeurs et l’excuse est quasi invariablement: “Merci patron, j’avais oublié…”.
Sans vouloir tirer des conclusions générales, il pourrait y avoir plusieurs explications au fait que tant de personnes ont des problèmes de compréhension ou de mémoire. L’une est le fait d’une alimentation déséquilibrée dès le premier âge qui doit nécessairement avoir un impact sur le développement physique et intellectuel des personnes. L’alimentation de base ici est la farine de manioc et la farine de maïs, parfois agrémentée de légumes (feuilles de manioc) et d’une sauce à base d’huile de palme. Mis à part le fait que la farine de manioc ne contient certainement pas tous les éléments nécessaires pour une alimentation équilibrée, le rouissage des racines de manioc n’est pas toujours parfait et des traces de cyanure restent probablement présentes dans les bouillies données aux enfants dès leur jeune age. Les préparations à base de manioc sont nourrissantes dans le sens ou elles donnent l’impression d’être rassasié assez rapidement et ainsi masquer la faim, mais elles sont pauvres en protéines et autres éléments essentiels pour la croissance.
L’alimentation est un problème majeur ici car même s’il y a un peu de pêche dans la rivière Kasaï, la majorité de la population locale se contente de très peu de protéines animales (il n’y a plus rien à chasser) qui viennent soit sous forme de poisson boucané, d’oiseaux piégés ou d’insectes divers. Peu de personnes sont impliquées dans la production agricole ou l’élevage, le premier parce que les villages sont très territoriaux et ne permettent pas aux personnes intéressées de faire des champs et le deuxième parce que les taxes prélevées sur les éleveurs sont telles que les gens préfèrent laisser vagabonder quelques animaux en espérant qu’ils ne seront pas volés avant d’avoir pu les vendre ou les manger.
Une autre explication pour cet aspect de répétition continue est probablement aussi le système d’éducation. Comme vous le savez de par nos lettres de nouvelles précédentes, les écoles ici sont tout sauf excellentes, les bâtiments et infrastructures sont peu ou mal entretenus et les enseignants sont généralement peu formés avec des lacunes énormes (un professeur d’anglais qui ne sait pas parler l’anglais, un prof de math qui ne sait pas faire une règle de trois, ou un professeur de français qui ne maîtrise pas l’orthographe) qu’ils compensent en lisant ou copiant mot pour mot ce qui est inscrit dans leur manuel à défaut de pouvoir l’expliquer. Les élèves doivent, à longueur de journée, recopier ce que le professeur a écrit au tableau (quand il y en a un) ou répéter tous ensemble ce qui leur est dit (y compris les fautes de lectures de l’enseignant…). Les enseignants ont un diplôme officiel qui démontre avoir terminé des études, mais de plus en plus de ces diplômes sont délivrés non pas sur base de réelles compétences mais suite à un paiement qui représente parfois des sommes astronomiques par rapport aux salaires moyens.
Il y a peu, malgré que les écoles aient été fermées pendant plus de six mois, l’état a décidé d’organiser malgré tout les dissertations et examens d’état (payants évidemment) dans tout le pays. Nos travailleurs se sont endettés de manière effrayante pour s’assurer que leurs enfants puissent faire et surtout réussir leurs examens d’état et le résultat est à la hauteur des espoirs car quasi aucun élève de Mapangu n’a échoué cette année. Il faut dire que la présence de Brabanta assure une économie locale assez stable et qu’une grande partie des “inspecteurs” de l’état ont opté pour venir à Mapangu pour cette période de fin d’année scolaire.
Cette situation est désolante car il est clair que les diplômes n’ont absolument aucune valeur et on est en droit de se demander pourquoi les gens acceptent de se saigner à blanc pour quelque chose qui manifestement ne donnera aucune garantie d’avenir. J’en ai parlé avec certains de nos travailleurs, dont certains sont même allé jusqu’à payer des personnes pour faire les examens en lieu et place de leurs enfants (dans un cas parce que la fille de 16 ans, enceinte, est partie vivre avec son “mari” dans une autre province), qui me disent que, c’est vrai que le diplôme n’a pas de valeur, mais ayant payé tellement pour l’étude de leurs enfants ils ne veulent pas que cela ne soit pas consacré par un document…
Lorsque nous recrutons du personnel, les candidats viennent invariablement avec une batterie de documents officiels dont nous ignorons l’exacte valeur, et nous sommes obligés de faire passer des tests pour évaluer les compétences réelles. Nous constatons que quand il ne s’agit pas de répéter une information acquise précédemment les candidats sont perdus. Quand on demande combien de litres il y a dans un mètre cube ou comment écrire “huile de vidange”, la majorité nous répond avoir besoin d’une calculatrice ou un dictionnaire… Et puis il y a ceux que l’appelle les miraculés, ainsi nous avions un jeune laborantin, issu du collège local, que nous pouvions sans crainte laisser en charge de toutes les présentations et qui était capable mieux que nous d’expliquer toutes opérations et manipulations aux visiteurs même internationaux. Un autre exemple est un jeune agronome recruté localement dont les compétences sont surprenantes et qui est même plus compétent (de mon point de vue) que certains agronomes expatriés que nous avons eu ici à Mapangu. Ce sont des exemples trop rares mais qui montrent que le potentiel est là si les conditions sont réunies pour lui permettre de s’exprimer. Mais pour cela il faudra un changement drastique dans des aspects élémentaires tels que l’alimentation, l’éducation et l’encadrement, choses qui ne semblent malheureusement pas faire partie des priorités du gouvernement et hors de portée d’une société comme la nôtre.
A bientôt vous lire,
Marie-Claude et Marc
One of the lessons we have learned in the few years we have been here in Mapangu is that things should never be taken for granted and that even when people tell us that they understand what has just been discussed, chances are that this is not the case, or even just the opposite.
Take the example of our cutters who every day harvest the ripe palm bunches to send them to the oil mill for processing. The work is always the same, i.e. to go around each palm tree to check if there are ripe bunches, maturity is checked if a fruit falls out and the hole is yellow, cut the palms supporting the bunch in the direction of the spiral of the palms (the palms develop their palms in a spiral, right or left, with eith palms to a full circle). Cut the ripe bunch, check for loose fruit in the pockets of the palms, cut the stem of the bunch and clean the circle around the palm so that the fruit can be picked up easily. These are a whole series of steps, but in the end they are rather simple and logical. To help the cutters memorise the procedure, every morning before starting work, the team is assembled by their team leader (called a capita) to demonstrate each operation. The main aim is to refresh the workers’ memory of how to work, but it also helps to check whether the capita him(her)self has understood how to do the job. In addition, during the work shift, the capita and his supervisor make rounds in the harvesting areas to make sure that the work is done correctly. And yet… Every time we visit a plantation, we find that a good number of cutters do not do the work correctly, most often because they have not understood or say they have forgotten. It even happens that the capitas themselves don’t exactly remember the recommendations, even though it is the same work they have been doing every day for years. Certainly language can sometimes be the cause of misunderstandings and that is why we have opted to give practical demonstrations every morning, but even this does not seem to be as effective as one might have hoped.
The example here was given for the cutters, but the same is true for almost all operations, including the masons, the servants or the drivers, and the excuse is almost invariably: “Thanks boss, I forgot…”.
Without wishing to draw general conclusions, there could be several explanations for the fact that so many people have problems of understanding or memory. One is the fact that unbalanced nutrition from an early age must necessarily have an impact on people’s physical and intellectual development. The staple food here is cassava flour and maize flour, sometimes with vegetables (cassava leaves) and a palm oil-based sauce. Apart from the fact that cassava flour certainly does not contain all the elements necessary for a balanced diet, the retting of the cassava roots is not always perfect and traces of cyanide probably remain in the porridge given to children from an early age. Cassava-based formulas are nutritious in the sense that they give the impression of being satiated fairly quickly and thus mask hunger, but they are low in protein and other elements essential for growth.
Food is a major problem here because even though there is some fishing in the Kasai River, the majority of the local population is content with very little animal protein (there is nothing left to hunt) which comes either in the form of smoked fish, trapped birds or various insects. Few people are involved in agricultural or livestock production, the first because the villages are very territorial and do not allow interested people to make fields, and the second because the taxes levied on livestock farmers are such that people prefer to let some animals roam around in the hope that they will not be stolen before they can be sold or eaten.
Another explanation for this aspect of continuous repetition is probably also the education system. As you know from our previous newsletters, the schools here are anything but excellent, the buildings and infrastructure are poorly or badly maintained, and the teachers are generally poorly trained with huge gaps (an English teacher who cannot speak English, a maths teacher who cannot make a rule of three, or a French teacher who cannot master spelling) which they make up for by reading or copying word for word what is written in their textbooks if they cannot explain it. Throughout the day, students must copy what the teacher has written on the blackboard (when there is one) or repeat all together what they are told (including the teacher’s reading mistakes). Teachers have an official diploma that shows that they have completed their studies, but more and more of these diplomas are awarded not on the basis of real skills but following a payment that sometimes represents astronomical sums in relation to average salaries.
Recently, despite the fact that schools have been closed for more than six months, the state has decided to organise state dissertations and examinations (for a fee, of course) throughout the country. Our workers have gone into debt in a frightening way to ensure that their children can sit and above all pass their state exams and the result has lived up to expectations because almost no Mapangu students have failed this year. It must be said that the presence of Brabanta ensures a fairly stable local economy and that a large number of the state “inspectors” have opted to come to Mapangu for the end of the school year.
This situation is distressing because it is clear that diplomas have absolutely no value, and one has the right to wonder why people accept to bleed themselves dry for something that will obviously give no guarantee for the future. I’ve talked about this with some of our workers, some of whom have even gone so far as to pay people to take the exams in place of their children (in one case because the 16-year-old girl, who is pregnant, has gone to live with her “husband” in another province), who tell me that, it’s true that the diploma has no value, but having paid so much for their children’s studies they want it to be enshrined in a document, even if it is worthless.
When we recruit staff, candidates invariably come with a battery of official documents whose exact value we don’t know, and we are obliged to administer tests to assess the actual skills. We find that when it is not a question of repeating previously acquired information, candidates are lost. When we ask how many litres there are in a cubic metre or how to write “used oil”, the majority answer that we need a calculator or a dictionary? And then there are those whom I call the miraculous ones, so we had a young laboratory assistant, from a local college, who we could fearlessly leave in charge of all the presentations and who was better able than us to explain all the lab operations and manipulations to the visitors, even international ones. Another example is a young locally recruited agronomist whose skills are surprising and who is even more competent (from my point of view) than some of the expatriate agronomists we had here in Mapangu. These are all too rare examples, but they show that the potential is there if the conditions are right to allow it to express itself. But this will require a drastic change in basic aspects such as food, education and supervision, which unfortunately does not seem to be part of the government’s priorities and out of reach for a company like ours.
We look forward hearing from you soon,
Marie-Claude and Marc