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Malgré le fait d’avoir passé plusieurs années à Mapangu, nous restons encore régulièrement surpris par le choix des mots et surtout leur signification car même si la langue française est couramment utilisée l’interprétation de certains mots ou expressions est manifestement différente de la nôtre.
Pour mettre les choses dans leur contexte, il faut savoir que certaines notions sont inexistantes en Lingala, ainsi le mot “lobi” veut aussi bien dire hier que demain et la seule façon de savoir si l’on parle du passé ou du futur est de voir le contexte dans lequel le mot est utilisé, mais cela n’empêche que cela crée parfois des confusions, surtout quand le concept est traduit en français. De même, il n’y a pas d’article de genre comme en français, en lingala on ne parle pas de l’homme mais simplement “homme” et de même pas la femme mais “femme”. Il est donc assez généralisé nos collègues congolais de référer indifféremment à un objet masculin ou féminin par le même article “il” ou “lui”, même si l’on parle de sa fille.
C’est ainsi que le terme “déjà” est lui utilisé de manière différente de la nôtre car il se rapporte à une moment proche dans le temps mais qui peut être aussi bien dans le passé que l’avenir. Ainsi quand je demande à notre chef de transport quelle est la position du transport des travailleurs et qu’il me répond que le camion est déjà en route cela ne veut pas nécessairement dire que le véhicule a quitté le lieu de départ et qu’il roule, cela peut tout aussi bien signaler que le véhicule est en préparation et pourra quitter dans un avenir proche. Il en va de même quand un travailleur nous dit que le travail est déjà fait, ce qu’il ne faut donc pas prendre pour argent comptant.
Quand je demande au garage si l’entretien de ma voiture est terminé et que l’on me dit que c’est déjà fait, il n’est pas rare que quand je signale que je viens la chercher je suis informé qu’il faut encore attendre un tout petit peu pour qu’elle soit effectivement prête. La seule instance ou l’expression est généralement utilisée de la même manière que la nôtre est quand nous recevons l’information que quelque chose est déjà cassé. Il est quasi certain que dans ce cas il n’est pas question d’une casse imminente, mais cela ne veut pas dire pour autant que la casse soit prématurée, seulement qu’elle est arrivée de manière récente quel que soit l’age de l’outil ou du matériel en question.
Une autre expression qui n’existe pas en Lingala est d’exprimer une demande avec une formule de politesse, ainsi il ne faut pas s’offusquer si quelqu’un vous dit “donne-moi ceci ou cela”, l’ajout d’un “s’il-vous-plait” ou “auriez-vous l’amabilité de” n’existe pas dans l’idiome local, par contre quand une personne reçoit quelque chose les mercis ne manquent généralement pas et parfois même (de manière assez embarrassante) ils sont accompagnés de courbettes, génuflexions ou même genou à terre. Mais le “merci” peut tout aussi bien venir après une réprimande sévère, donc peut-être que là aussi notre interprétation n’est pas tou à fait la même.
Depuis le début de notre séjour ici je suis assailli presque tous les jours par des enfants en bordure de route qui disent “donne-moi l’argent”. Cela fait bientôt cinq ans qu’ils n’ont jamais reçu même un Kopeck et pourtant cela ne change rien à leur entrain pour répéter la même chose tous les jours. Ce qui nous sidère le plus est que parfois les enfants demandeurs ne peuvent guère avoir plus de trois ans et la seule parole qu’ils ont à la bouche est “donne-moi l’argent” à se demander où ils ont appris cela et s’ils savent même ce qu’ils disent.
Ici la forme de respect est de s’adresser à une autre personne en utilisant le terme “papa” ou “maman”, même si la personne est manifestement (beaucoup) plus jeune, même certains enfants se voient affublés du titre de papa ou maman en général plus fréquemment pour les filles que pour les garçons. Nous n’échappons évidemment pas à cet égard, encore que dans le cas de Marie-Claude ou moi-même quand quelqu’un s’adresse à nous en parlant de maman ou papa c’est généralement parce qu’il y a une demande d’une sorte ou d’une autre qui suit ou une bourde à se faire pardonner. Quand c’est une demande spéciale ou pressante nous devenons même “notre maman ou notre papa à tous”. Quand il s’agit de quelqu’un qui a été sanctionné pour une faute, j’ai généralement droit à une séance où l’agent ou l’agente sanctionnée vient me trouver et plaide pour l’indulgence du papa à tous qui doit être compréhensif vis-à-vis de son enfant qui a fait une bêtise. Parfois ces demandes s’accompagnent de tout un cinéma digne d’une comédie dramatique avec agenouillement, larmes et promesses de sacrifice qui ne sont pas toujours aisé à gérer. Après tout, n’est-il pas normal que le papa pardonne ses enfants pour avoir fait une faute…
Ici il n’y a pas de honte, nous avons plusieurs de nos travailleurs qui sont partis après avoir volé des sommes parfois importantes et qui n’hésitent pas, après avoir épuisé leur butin, à venir plaider pour une réintégration. Ainsi nous avons un de nos chefs comptables qui a fui il y a quelques années avec une bonne partie de la caisse et est aller se réfugier en Angola. Il est ensuite revenu à Kinshasa et comme, malgré notre plainte, les autorités ne semblent pas trouver utile de l’arrêter il s’est senti assez confiant pour postuler pour un poste de comptable dans une des plantations africaines de la Socfin en faisant valoir qu’il avait déjà une bonne expérience des mécanismes de la société (sic). Un autre ex-collègue qui est parti plus récemment avec une partie de la caisse (il était caissier à Kinshasa) m’a récemment contacté personnellement en proposant ses services de transitaire et de gestionnaire des achats… Il y en a bien d’autres de la même trempe qui profitent d’un changement dans l’équipe des expatriés espérant que leur histoire soit partie avec l’expatrié concerné, mais les deux cas cités ci-dessus étaient des personnes que j’ai moi-même dû licencier (le terme n’est peut-être pas exact puisqu’elles ont fui avant d’avoir pu être notifiées de leur renvoi).
Oh, aujourd’hui “papa” et “maman” fêtent leur noces d’émeraude, eh oui déjà quarante ans de vie commune par monts et par vaux.
Le papa et la maman de tous espèrent avoir déja de vos nouvelles,
Marc & Marie-Claude
In spite of having spent several years in Mapangu, we are still regularly surprised by the choice of words and especially their meaning because even if the French language is commonly used, the interpretation of some words or expressions is obviously different from ours.
To put things in context, it is important to know that certain notions are non-existent in Lingala, so the word “lobi” means yesterday as well as tomorrow and the only way to know whether we are talking about the past or the future is to see the context in which the word is used, but this does not prevent it from sometimes creating confusion, especially when the concept is translated into French. Similarly, there is no gender article as in French, in Lingala it is therefore quite generalised among our Congolese colleagues to refer indifferently to a masculine or feminine object by the same article “he” or “him”, even if one is talking about one’s daughter.
This probably explains why the term “already” is used differently from ours because it refers to a moment in time that is close in time but which can be in the past as well as the future. So when I ask our head of transport what the position of the workers’ transport is and he answers that the truck is already on its way, this does not necessarily mean that the vehicle has left the place of departure and that it is moving, it may just as well indicate that the vehicle is in preparation and will be able to leave in the near future. The same is true when a worker tells us that the work has already been done, which is not to be taken at face value.
When I ask the garage if the maintenance of my car is finished and they tell me that it is already done, it is not uncommon that when I report that I am coming to pick it up I am informed that I still have to wait a little while for it to be ready. The only instance or expression is usually used in the same way as ours is when we receive the information that something is already broken. It is almost certain that in this case there is no question of imminent breakage, but this does not mean that the breakage is premature, only that it is recent, regardless of the age of the tool or material in question.
Another expression that does not exist in Lingala is to express a request with a polite formula, so you should not be offended if someone says “give me this or that”, the addition of a “please” or “would you be so kind as to” does not exist in the local idiom, but when a person receives something there is no lack of thanks and sometimes (rather embarrassingly) they are accompanied by bowing, genuflecting or even kneeling on the ground. However a “thank you” is also the answer we get after a severe reprimand, therefore it might well be that our interpretation of it is also different.
Since the beginning of our stay here I have been assaulted almost every day by roadside children saying “give me the money”. It’s been almost five years since they have not even received a Kopeck and yet it doesn’t change their enthusiasm to repeat the same thing every day. What amazes us the most is that sometimes the children asking for the money can hardly be more than three years old and the only word they have in their mouths is “give me the money” wondering where they learned this and whether they even know what they are saying.
Here the form of respect is to address another person using the term “father” or “mother” (papa or maman), even if the person is obviously (much) younger, even some children are given the title “papa” or “maman” more frequently for girls than for boys though. We are obviously not exempt from this, although in the case of Marie-Claude or myself, when someone speaks to us with the term “papa” or “maman” it is usually because there is some kind of request that follows or some kind of blunder to be forgiven. When it’s a special or urgent request we even become “father or mother of us all”. When it is someone who has been sanctioned for a mistake, I frequently have a moment where the sanctioned worker comes to me and pleads for the indulgence of the father to all of us who must be indulgent towards his child who has made a mistake. Sometimes these requests are accompanied by a whole act worthy of a dramatic comedy with kneeling, tears and promises of sacrifice that are not always easy to handle. After all, isn’t it normal for fathers to forgive their children for making a mistake?
Here there is no shame, we have several of our workers who have fled after stealing sometimes large sums of money and who do not hesitate, after having exhausted their loot, to come and plead for reinstatement. Thus we have one of our chief accountants who fled a few years ago with a good part of the cash he was keeping and took refuge in Angola. He then returned to Kinshasa and, since despite our complaint the authorities do not seem to find it useful to arrest him, he felt confident enough to apply for a position as accountant in one of Socfin’s African plantations, arguing that he already had good experience of the company’s mechanisms (sic). Another ex-colleague who left more recently with part of the cash (he was a cashier in Kinshasa) recently contacted me personally offering his services as a forwarding agent and purchasing manager… There are many others of the same kind who try to use a change in the expatriate team hoping that their history has gone with the expatriate concerned, but the two cases cited above were people I myself had to dismiss (the term may not be accurate as they fled before they could be notified of their dismissal).
Oh, today “father” and “mother” celebrate their emerald wedding anniversary, indeed 40 years of wandering around the world together.
The father and mother of all hope to already hear from you,
Marc & Marie-Claude
4 replies on “Déjà – Already”
Apprenez à aimer le Congo. A votre âge c’est le seul moyen de préserver votre santé !
La lecture de cet article m’a fait sourire. Détachez vous de votre vision occidentale du monde et commencez à profiter de votre expérience. Il n’est jamais trop tard.
Bonjour Mariama,
Merci pour votre commentaire. Il y a une différence subtile entre aimer le Congo et arriver à le comprendre. Nous constatons que malgré les cinq années passées dans le territoire d’Ilebo, qui est absolument magnifique et qu’un de nos amis qualifie (pas vraiment à tort) de Toscane congolaise, il ne se passe presque pas un jour où nous ne sommes pas exaspérés par l’apparente incompréhension qui existe entre nous et nos collègues autochtones. La population est indéniablement gentille et accueillante, mais elle voit aussi dans les expatriés que nous sommes une source inépuisable de solutions potentielles à leur problèmes, qu’ils soient d’ordre matériel (le plus souvent) ou relationnel. Il n’est pas rare que des travailleurs ou même des personnes extérieures viennent me voir pour soumettre des problèmes familiaux pour lesquels je suis parfois désemparé face à l’énorme différence culturelle qui nous sépare. Tout cela n’empêche que nous apprécions le pays magnifique dans lequel nous avons le privilège de pouvoir vivre, mais aussi parfois éminemment frustrés lorsque le message ne passe pas malgré de (très) nombreuses répétitions dans notre langue théoriquement commune (le français). Tout cela n’est pas aidé par un état qui ne fait rien pour améliorer les conditions de vie de ses citoyens, que ce soit du point de vue des infrastructures (routes, voies navigables, etc.), sanitaire (accès à l’eau potable, postes de santé, etc.) ou plus grave pour l’éducation (écoles en ruine, professeurs non-payés, manque de matériel et coût exorbitant pour les élèves qui sont malgré tout amenés à faire presque plus de travaux d’entretiens que d’apprentissage en classe).
Happy anniversary mother and father to all ??
Your tour of duty must be close to completion and you are “already” to go! Gods Speed for a safe journey and our kindest wishes for this silly season made festive to those who treasure even the smallest gift from pap and / or maman. Our love and best wihes as always, We2 Down Under.